La comparaison est tentante. Les deux personnages sont nés sous le même signe du tigre : Giorgetto Giugiaro le 7 août 1938 et Marcello Gandini dix-neuf jours plus tard… Ils ont effectué toute leur carrière dans les parages de Turin et ils ont croisé leur destin dans les studios de la Carrozzeria Bertone quand Marcello Gandini prit la succession de Giorgetto Giugiaro à la tête du style. L’analogie s’arrête là.
Le 28 juin 2012, Bertone célébrait son centenaire au cours d’une soirée organisée au Musée de l’Automobile de Turin. Les édiles de la ville et de la région étaient présents, alignés – comme le veut la coutume italienne – auprès des dignitaires de l’armée et du clergé qui faisaient la claque en tenue d’apparat. Dans l’assistance, on discernait toutes les stars du design de cette époque. Giorgetto Giugiaro prit la parole avec son aisance et sa faconde habituelles. Marcello Gandini, lui, écoutait en silence, caché au milieu de la foule. Incognito. Et il s’éclipsa sans dire un mot…
Deux personnalités opposées. Deux modes de vie. Deux talents qui ont marqué à jamais l’histoire du design automobile. Aujourd’hui, Gandini et Giugiaro s’acheminent vers leurs 83 ans. Mme Lili Bertone n’est plus de ce monde, son entreprise non plus. La carrosserie italienne n’est plus que l’ombre d’elle-même.
Quand Marcello Gandini arrive chez Bertone, en décembre 1965, c’est pour remplacer Giorgetto Giugiaro qui part alors chez Ghia. L’une des premières tâches qui attend le nouveau venu concerne la Lamborghini Miura prévue pour le Salon de Genève 1966.
Il n’y a pas de temps à perdre. Gandini produit plusieurs dessins à la mine de plomb dans son style caractéristique : nerveux, sauvage, instinctif, un peu naïf. Ses croquis n’ont pas la perfection convenue des designers sortis des écoles d’art, mais une spontanéité propre à traduire des fulgurances. Forcément, il n’ignore pas les esquisses réalisées par Giugiaro sur le même thème avant son départ… Peu importe la part de paternité de chacun. Ils auront l’un comme l’autre l’occasion de montrer ultérieurement leur originalité.
Les premières créations de Gandini restent sages, mais le styliste ne tarde pas à révéler son caractère. La Marzal (mars 1967) ouvre le bal des provocations. Son style préfigure celui de la Lamborghini Espada, mais s’en distingue par ses larges portes « papillon » vitrées, ses motifs hexagonaux omniprésents, sa sellerie aux reflets d’argent. Au Salon de Paris 1968, on découvre la saisissante Carabo, un volume monolithique, cunéiforme et aiguisé.
En 1970, Marcello Gandini va encore plus loin avec la Stratos. Par le profil de flèche, le motif trapézoïdal du flanc, l’absence de vitrage, l’accès à bord, le poste de commande, la Stratos remet en cause toutes les convenances. Il n’y a ni porte ni fenêtre : l’entrée dans le huis clos de l’intérieur s’effectue par le pare-brise articulé au faÏte du toit. Une boule regroupe les commandes dans le vide du volant et les informations sont données sur un écran, à gauche du conducteur. Déjà…
Quand la Stratos apparaît, on ignore qu’elle donnera naissance en 1971 à un autre chef-d’œuvre radicalement différent : la Stratos HF. Compactée, tout en muscles, elle sera championne du monde des rallyes de 1974 à 1976.
Les sculptures se succèdent. Dans la foulée de la Countach, Marcello Gandini développe un style incisif qui exprime son radicalisme par les volumes comme par l’ornementation. Parallèlement, il gère le développement des projets commandités par les constructeurs et ce, sur tous les créneaux du marché, de la minimaliste Innocenti qui réinvente l’Austin Mini (1974) à la BX qui donne une nouvelle identité à Citroën (1982). La liste des contrats est interminable…
Marcello Gandini est un individualiste forcené. En 1979, il finit par quitter Bertone pour devenir indépendant et poursuivre son œuvre dans la solitude de sa bastide du XVIIe siècle.
Dorénavant, Gandini traite directement avec les constructeurs. Pour Renault, dans les années 1980, il imagine l’ambiance intérieure de la 5 Turbo et de la 25, puis l’extérieur de la Super 5. Avec sa formation d’ingénieur plus que d’artiste, Gandini insiste sur la culture technique inséparable du métier de styliste. Il met au point un processus d’assemblage original qui permet d’introduire la robotisation sur 80 % des opérations, supprimer la chaîne classique et réduire la superficie des usines. La Régie Renault en achète la licence… pour en priver ses concurrents !
La signature de Gandini est encore apposée sous plusieurs machines de grand tourisme : Lamborghini Diablo (1989), Cizeta Moroder V16T (1991), Bugatti EB110, Maserati Shamal (1989) et Quattroporte (1994).
Introverti et ténébreux, Marcello Gandini se souvient de son père. Il était pianiste, chef d’orchestre et compositeur. Parfois, on joue ses œuvres sans se souvenir de son nom… Marcello Gandini se reconnaît dans cette manière secrète et tourmentée de vivre sa passion.
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