Les collectionnables, c’est quoi ?
Ce sont des autos revêtant un intérêt particulier, donc méritant d’être préservées. Pas forcément anciennes, elles existent pourtant en quantité définie, soit parce que le constructeur en a décidé ainsi, soit parce que leur production est arrêtée. Ensuite, elles profitent de particularités qui les rendent spécialement désirables : une motorisation, un châssis, un design, ou un concept. Enfin, elles sont susceptibles de voir leur cote augmenter. Un argument supplémentaire pour les collectionner avant tout le monde !
Pourquoi la Mercedes-Benz W116 est-elle collectionnable ?
Emblème de la haute société des seventies, la W116 a beaucoup été vue au cinéma, voire dans les séries, comme Dallas (l’abominable JR en possédait une !). Certes largement produite, elle s’est très nettement raréfiée, étant même devenue peu courante en très bon état. Aussi est-il largement de temps de préserver cette icône automobile, et pas uniquement dans son alléchante variante 450 SEL 6.9. Les autres demeurent en effet des moyens bien agréables de se balader différemment, dans cette ambiance inimitable, faite de rigueur et de sobriété, typique des Mercedes des années 70…
Elle a été raillée à sa sortie par Bill Mitchell, grand manitou du design de GM. Il la trouvait d’un design simpliste : c’est la Mercedes Classe S W116, apparue en septembre 1972. Ça n’a pas plu du tout à Friedrich Geiger, patron du style de la marque allemande, et en a débouché une rencontre entre les deux hommes, qui ont fini par s’entendre.
Certes, on peut reprocher au style Mercedes des années 60-70 son conservatisme (jusqu’à la Classe S W126 de 1979), et la W116 ajoutait à ça quelques tonnes de chromes, sous la forme de doubles parechocs (comme sur sa devancière) et d’une calandre bombée. La cellule centrale restait pour sa part proche visuellement de celle de n’importe quelle berline étoilée. Et pourtant ! Sur route, la W116 avait une présence de fou !
Elle a d’ailleurs été, dans sa version ultime, l’égérie des stars du showbiz mondial, voire français, Louis de Funès, Claude François ou encore Patrick Dewaere, pour ne citer que ces personnalités françaises en ont possédé une. Claude Lelouch a même tourné en 1976 son court-métrage « C’était un rendez-vous » à l’aide de la version la plus alléchante de la gamme.
La W116, c’est la première Classe S « officielle », la première à avoir été commercialisée par Mercedes en tant que telle. Le S symbolise Sonderklasse, « classe spéciale » en français. Et spéciale, elle l’est, d’abord par l’étude sécuritaire soignée dont elle a bénéficié. Zones à déformation programmée (selon l’invention de Béla Barényi, qui les a peaufinées chez Mercedes), colonne de direction à absorption d’énergie, habitacle garni de revêtements rembourrés amortissant les impacts… Un programme complet, qui s’enrichira encore en 1978 quand la Classe S inaugurera l’ABS développé par Bosch.
Techniquement, la grande Mercedes reprend l’épure de suspension arrière totalement indépendante inaugurée par la plus petite W114 en 1968 (fini l’antique essieu brisé issu des années 30), alors que l’avant a droit à une double triangulation à effet anti-plongée. Du très bon niveau à l’époque, sans que cela n’inquiète toutefois la grande rivale, la Jaguar XJ.
Sous le capot, on retrouve les blocs à injection électronique du roadster SL lancé un an auparavant : un 6-cylindres en ligne 2,8 l de 185 ch (280 SE) et un V8 3,5 l de 200 ch (350 SE). À ceci s’ajoutent un 2,8 l à carburateur de 160 ch (280 S) puis, en 1973, un V8 4,5 l de 225 ch (450 SE). Ce dernier est compatible avec la carrosserie allongée de 10 cm (5,06 m total) et vaudra à la Mercedes d’être sacrée Voiture de l’Année 1974.
Dans l’habitacle, outre l’installation sécuritaire, on trouve très peu d’équipements de série : vitres manuelles, boîte 4 vitesses… Pas de compte-tours, c’est une option, tout comme les jantes en alliage.
Pour autant, Mercedes oblige, les prix sont prohibitifs : 55 400 F pour la 280 S de base, 59 900 F pour la 280 SE, qui sera la plus vendue, 67 700 F pour la 350 SE et 76 300 F pour la 450 SE, livrable uniquement avec la boîte automatique. Soit de 50 500 € à 69 600 € actuels selon l’Insee. À titre indicatif, une R5 TL coûte alors 12 000 F.
Malgré son tarif, la Mercedes rencontre un grand succès, on la retrouvera même en tant que taxi en Suisse !
Progressivement, les variantes longues s’étendront à toutes les versions dotées de l’injection, qui devient mécanique (K-Jetronic et non plus D-Jetronic) en 1975. Les puissances chutent un peu (156 ch sur la 280 S, 177 ch sur la 280 SE, 195 ch sur la 350 SE et 217 ch sur la 450 SE), mais cette année-là, de luxueuse, la S devient carrément hors norme. Du mois dans la nouvelle version 450 SEL 6.9. Prenant la suite, avec quelques années de délais, de la mythique 300 SEL 6,3 l, elle en récupère l’énorme V8 qu’elle porte à 6,8 l et 286 ch.
Si la Jaguar XJ12 demeure plus puissante à 287 ch, la Mercedes l’assomme grâce à son couple de 56 mKg, 15,4 mkg supplémentaires. En sus, la 6.9 se pare d’une suspension hydropneumatique, d’un différentiel à glissement limité et d’un équipement de série presque décent : clim manuelle, 4 vitres électriques, intérieur velours, boiseries étendues à la console centrale, lave-phares, autoradio Becker, jantes alu… Un minimum vu le prix stratosphérique : 197 400 F !
En mai 1978, à l’opposé, un 5-cylindres 3,0 l s’introduit sous le capot de la W116 : ce bloc de 115 ch en fait la première berline turbo-diesel commercialisée au monde.
Il ne sera commercialisé pratiquement qu’aux États-Unis, où la norme CAFE (pour Corporate Average Fuel Economy, une décision de l’administration Carter destinée à abaisser la consommation moyenne de la gamme d’un constructeur) incite à la production de moteurs diesels (on en trouvera aussi chez GM) ainsi qu’au Canada, quelques exemplaires étant aussi immatriculés en Suisse (mais avec les gros pare-chocs et les projecteurs américains).
Cette année-là, les moteurs à injection retrouvent leur puissance initiale, tandis que l’ABS Bosch s’invite dans la Classe S, qui disparaît en septembre 1980. Au total, quelque 473 035 exemplaires de la W116 auront été produits, dont 7 380 en déclinaison 450 SEL 6.9. Sacré score !
Combien ça coûte ?
Les prix commencent à monter pour les W116, si elles se présentent en très bon état. Comptez 6 500 € pour une 280 S, 7 000 € pour une 280 SE, et 9 000 € pour une 350 ou une 450. Quant à la 450 SEL 6.9, ce sera 35 000 € au minimum.
Quelle version choisir ?
D’abord, celle dans le meilleur état possible selon votre budget. Ensuite, préférez les V8, plus à même de déplacer convenablement le poids élevé de la W116. La 450 représente un juste équilibre. L’intérieur en velours Pullman optionnel est bien plus sympa que la sellerie mixte tissu-skaï d’origine, et même que le cuir.
Les versions collector
Toutes, à partir du moment où elles sont en parfaite condition et à kilométrage faible. Évidemment, la 450 SEL 6.9 est la plus désirable de toutes ! Une couleur exotique, typique d’un épisode de Derrick des années 70 sera un avantage.
Que surveiller ?
Très rigoureusement conçue et fabriquée, la W116 endure des kilométrages monstrueux. Par exemple, le soigneux Raymond Poulidor a emmené la sienne, une 280 SE, à plus de 700 000 km sans panne majeure.
Seulement, cette Classe S étant devenue très ancienne, elle souffre des maladies des autos de son âge, à commencer par une corrosion capable de faire de très gros dégâts. Si une italienne rouille en toute franchise, une carrosserie très attaquée pouvant cacher une structure encore relativement saine, c’est plutôt l’inverse sur la Mercedes. Si les panneaux extérieurs présentent bien mais montrent de nombreuses cloques, les dessous sont à coup sûr totalement mûrs !
Autre source de grosses dépenses, la coiffe du tableau de bord, qui a tendance à cuire sous l’effet du soleil et se révèle fastidieuse à changer.
Sur la 6,9 l, c’est la suspension hydropneumatique qu’il faudra surveiller, sa réfection revenant vite à plusieurs milliers d’euros, sachant qu’elle a horreur des longues périodes d’inutilisation. Comme sur une Citroën en somme, mais en beaucoup plus cher ! Sur les autres, les silentblocs sont à surveiller, ainsi que les amortisseurs, mis à mal par le poids.
Heureusement, les moteurs, relativement peu poussés, ne connaissent pas de faiblesse, ni les boîtes de vitesse, pour peu que l’entretien ait été suivi, ce qui est bien rare : c’est là le premier souci de cette Classe S, à acheter d’abord et avant tout en fonction de l’état. Bon à savoir : Mercedes refabrique de nombreuses pièces… à prix Mercedes.
Au volant
J’ai pu prendre le volant de la W116 ultime, une 450 SEL 6.9 de 1976. En superbe état. À bord, on est surpris par l’habitacle, aussi sobre que la carrosserie est clinquante. Pas de généreux parements en bois comme chez Jaguar : on se croirait presque à bord d’un taxi 200 D. Le cuir imitation skaï n’a rien pour faire rêver, le volant ne se règle pas et les passagers arrière n’ont même pas droit à des lampes de lecture individuelles.
Mais les généreux sièges procurent un confort certain, tandis que malgré le volant trop grand, on profite d’une position de conduite convenable. À la mise en route, on est surpris par le silence du gros moteur. Surtout, la suspension efface toutes les aspérités ou presque, sans infliger aux passagers ces ondulations presque nautiques de certaines Citroën qui donnent le mal de mer.
Et si on écrase l’accélérateur ? Le V8 gronde tout en administrant une poussée tout à fait inattendue pour une péniche chromée aussi ancienne ! La boîte 3 passe les rapports sans trop de lenteur et on se retrouve vite à des vitesses prohibées, surtout que le niveau sonore progresse peu, alors que les inégalités sont toujours aussi bien éliminées. Pour autant, la Mercedes n’isole pas le conducteur de la route, et l’on perçoit le très bon équilibre de son châssis, doté de trains roulants assez précis.
Évidemment, la 450 n’est pas agile, mais elle reste sûre et freine très bien. Certainement la meilleure de son époque pour voyager loin, vite et dans un confort total. Pas étonnant que les stars l’aient choisie en si grand nombre, malgré une consommation dépassant vite les 15 l/100 km.
L’alternative youngtimer
Mercedes-Benz W126 (1979-1990)
Autant la W116 se signale par ses chromes tapageurs, autant sa remplaçante W126 surprend par sa carrosserie lisse, fuselée et discrète. Surtout, ce chef-d’œuvre dû à Bruno Sacco et son équipe concilie magnifiquement élégance et aérodynamique, le Cx étant de 0.36. Car l’heure est à l’économie de carburant, et Mercedes a retravaillé les blocs de la 126 en ce sens. Si elle conserve avec quelques modifications le 2,8 l de la 116, elle reçoit des V8 3,8 l et 5,0 l tout alliage inconnus de sa devancière.
C’est le succès, même si la 6.9 n’a pas de descendance. En 1981, les V8 et les boîtes sont revus pour plus d’économie encore, alors qu’en 1985, c’est le restylage. Jantes agrandies, boucliers et protections latérales lisses, équipement enrichi, moteurs retravaillés et plus puissants. La 280 devient 300, la 380 est désormais la 420, la 500 reste 500 alors qu’une 560 enrichit la gamme par le haut. Forte de 300 ch et capable de près de 250 km/h, celle-ci remplace (enfin) la 6.9. La pose de catalyseurs fera un peu chuter les puissances en 1989, mais la W126 durera jusqu’en 1990. 812 063 unités seront fabriquées, un record qui tient toujours dans cette catégorie. À partir de 6 000 €.
Mercedes-Benz 450 SEL 6.9 (1976), la fiche technique