Mais au détour d’une rencontre avec des membres des 3A, les organisateurs du salon, Fabien me dit qu’elle est essayable. Moi qui rêvais d’essayer une Lancia de cette époque, voilà qui tombe à pic. Alors je vous emmène au volant de la Lancia Aurelia B20 GT S pour voir ce qu’elle donne sur la route plutôt qu’avec une magnifique photo signée Harcourt (quand même).
NOTRE LANCIA AURELIA B20 GT S DU JOUR
Sublime. Voilà, j’ai tout dit. Ou presque. Mais elle est tellement belle cette Lancia qu’on passe un temps fou à la contempler et qu’on va pouvoir la détailler comme il se doit.
Tout le charme de cette italienne vient de sa ligne à la fois élégante, sensuelle, arrondie mais clairement d’un autre âge. On retrouve des traits qui peuvent vraiment faire penser à une anglaise, pour le côté un brin massif, mais croisé avec l’élégance italienne. Cette ligne, on ne la doit pas à Pinin Farina, pas totalement en tout cas. C’est bien Boano, alors chez Ghia, qui dessine l’auto, du moins dans ses grandes lignes.
Pour notre auto de 1955, on peut voir les modifications apportées à la mi-carrière par Pinin Farina avec une calandre spéciale, des pare-chocs modifiés et les roues à rayon Borrani.
Ce coupé, ou plutôt un coach si on veut être précis, portera toujours le nom de B20 GT, quel que soit le moteur, on y reviendra. Le petit côté massif est particulièrement visible à l’avant. On peut facilement faire le lien avec la berline qui possède la même proue. La face avant est quasi verticale avec une grosse calandre chromée, bordée par les deux rangées de phares et deux aérations supplémentaires. Le tout est souligné par le pare-chocs chromé et très simple dans son dessin.
Le capot est vraiment à l’ancienne, typique de ces années là, avec uniquement la partie centrale qui s’ouvre, sans atteindre les ailes, et une découpe arrondie. Surtout, il est très plat ce qui tranche avec la face avant verticale. Les ailes sont galbées et se prolongent vers l’arrière. En bref, une auto bien ancrée dans les années 50 où elle reste plus moderne et élégante que toutes ses concurrentes voulant rappeler l’Amérique, très à la mode, dans leur dessin.
Sur le profil, on remarque la quasi-perfection des proportions. Le capot est plat et plutôt long, on l’a dit, mais pas exagéré. Le porte-à-faux avant, plus petit qu’à l’arrière donne tout de suite un certain dynamisme. La ligne de caisse est tendue et arrondie, le flanc libre de tout ornement à l’exception du logo de Pininfarina. Il faut descendre aux bas de caisse pour retrouver une baguette.
Le traitement des surfaces vitrées est doux et agréable. La Lancia Aurelia B20 GT propose pourtant des vitres plutôt petites pour l’époque. En tout cas, seules les voitures réellement sportives en adoptaient de semblables. Le pavillon est bien dessiné, retombant vers l’arrière dans une magnifique courbure.
À l’arrière on retrouve un coffre de bonne taille, chose rare sur les coupés de l’époque. En même temps celui de la Lancia Aurelia B20 GT englobe le support et deux fins éclairages de plaque. Les feux sont minuscules, clairement d’un autre temps. La lunette arrière est très inclinée et haut-perché, certainement pas une bonne nouvelle pour la visibilité.
Cet arrière peut faire penser à celui d’une 250 GT SWB. Sur cette dernière, qui arrive juste trois ans après notre Série IV de 1955, il est plus fin et effilé, il faut aussi dire qu’elle est plus basse.
Résultat global : la Lancia Aurelia B20 GT est simplement magnifique. Peu de fioriture, des lignes fluides, logiques, qui permettent facilement de la replacer dans les années 50… et qui méritent amplement d’être à l’honneur sur l’affiche d’un des plus grands salons de voitures anciennes d’Europe.
L’intérieur : Sinistra
Pour être précis, notre auto du jour est une Lancia Aurelia B20 GT S. Ce S, il signifie Sinistra. Rien à voir avec la robe noire, sinon on vous en aurait déjà parlé. Non, si vous avez quelques notions d’italien, vous avez déjà compris. Sinon, on vous explique.
Comme tous les constructeurs de voitures de luxe, même français, des années 50, Lancia plaçait, de base, ses volants du côté droit. Même si l’Italie roulait à gauche, c’était une coutume qui était encore présente. Les Lancia Aurelia B20 GT sont donc nées avec le volant à droite. La Série IV est la première version à proposer le volant à gauche. Et gauche, en italien, c’est Sinistra. Vous avez votre explication ! D’ailleurs, ça permet au constructeur turinois de lancer ses différentes versions sur le marché américain avec plus de force.
Pour autant, certain pourraient trouver l’intérieur… sinistre. En effet, ne comptez pas sur la gaieté quand vous ouvrirez la porte. La planche de bord est noire, la sellerie est noire, des sièges avant et arrière aux contre-portes. Les seules touches gaies sont apportées par les entourages chromés des cadrans et commandes et par le bois du volant, du pommeau de levier de vitesse et du commodo droit (pas du gauche).
L’instrumentation est simple, nous ne sommes pas dans une sportive. Le cadran de gauche de la Lancia Aurelia B20 GT comporte une petite montre et un compteur de vitesse. Celui de droite n’est qu’un compte-tours. Notez d’ailleurs que Sinistra ou pas, la disposition était la même.
Finalement, l’intérieur est élégant mais manque d’originalité et de clarté. Le noir n’aide pas, les faibles surfaces vitrées non plus.
La technique : l’atout de Lancia
Si on peut s’extasier devant sa ligne, ce n’est finalement pas là que la Lancia Aurelia B20 GT se distingue. Lancia, c’est une grande tradition d’innovations techniques. Et avec l’Aurelia, on est servis et ça commence sous le capot.
Si pour vous le moteur V6 est une évidence, dites-vous qu’en 1950, quand la berline B10 est présentée, elle embarque tout simplement le premier V6 de série au monde ! Lancia s’était déjà distingué avec un V4, là on passe à la version supérieure. L’avantage du V6, c’est son encombrement. Il est forcément bien plus court qu’un 6 en ligne et son angle d’ouverture « logique » de 60° permet de le réduire aussi en largeur.
Ce moteur cube 1754 cm³ sur la B10 et monte à 1991 cm³ sur les premières Lancia Aurelia B20 GT, le 20 donnant l’indication pour la cylindrée. Par contre, contrairement au Spider qui s’appelle B24, lorsque les B20 reçoivent le 2451 cm³ dans le courant de l’année 1953, elles ne changent pas de nom. Ce moteur permet de passer de 75ch à 120ch. Une belle cavalerie pour une auto de moins de 1400 kg.
C’est déjà bien… mais Lancia ne s’arrête pas là. La marque turinoise reprend un concept proposé par Skoda dans les années 30. Mais quand c’est Lancia qui s’y colle, ça a une autre saveur et une autre portée. L’idée, c’est de mettre la boîte de vitesse accolée au pont arrière afin de mieux équilibrer les masses. Et oui c’est ce qu’on appelle désormais le « transaxle », concept repris par de nombreuses sportives à moteur avant de nos jours. D’ailleurs, toujours pour ce soucis de masses, on va accoler les freins (à tambours) à ce même pont.
AU VOLANT DE LA LANCIA AURELIA B20 GT S
Depuis le début j’ai l’impression de ne faire qu’énumérer de bonnes raisons de prendre le volant. C’est l’heure et je ne me fais pas prier. Installation assez aisée, je n’ai pas à me faufiler dans l’habitacle d’une berline mais d’une GT qui porte bien son nom. Le siège est plutôt bien réglé… et de toute façon on est dans une auto des années 50 dont les possibilités de réglages sont aussi réduites que l’habitacle est gai…
Contact, démarrage. Le V6 se met en route dans un bruit bien particulier. En gros… rien à voir avec les V6 italiens, allemands ou autre qui viendront par la suite. Ce pionnier a son bruit, rauque mais assez musical. Je passe la première et c’est parti. Avancer n’est pas un souci. Par contre, manœuvrer c’est autre chose. La direction assistée est très loin et le moteur reste posé sur le train avant. Du coup, faut sortir les muscles. Pas besoin de la jouer Hulk, mais ça demande un peu plus d’effort que les autos de la même époque qui se contentent d’un petit 4 pattes.
Sortie du Château, je me prépare à lâcher notre superbe Lancia Aurelia B20 GT sur route ouverte. La sensation est la même que lorsque vous prenez le métro avec votre belle montre neuve… vous êtes content de l’avoir, mais vous avez quand même un peu peur. C’est parti, première, deuxième, le moteur est coupleux, c’est tant mieux. Une voiture ancienne est toujours plus facile à conduire quand le couple est présent. Le bout de route est assez court et donne sur un stop auquel je m’arrête… en 3e. Mon moniteur d’auto-école devrait râler s’il lisait ça mais les deux premiers rapports ne sont pas synchros et ma vitesse n’était pas assez grande pour avoir besoin du frein moteur.
Le stop donne sur une belle nationale bien fréquentée. Va falloir que le premier V6 de série au monde nous prouve qu’il a 120 équidés dans les cylindres. Une petite fenêtre s’ouvre, c’est parti. Évidemment je ne soude pas en tournant le volant, mais dès que les quatre roues sont sur le même axe, j’appuie plus fort sur l’accélérateur. Le moteur prend des tours, je passe la seconde, la troisième et la quatrième. Clairement la mise en vitesse de la Lancia Aurelia B20 GT est celle d’une auto performante, pas d’une GT d’apparat.
On dirait que les 120ch de 1955 ont subi eux aussi l’inflation. Et cette idée me reste en tête un bon moment. À chaque rond-point (je n’ai pas compté, je tiens à ma santé mentale) le V6 relance fort. Il n’y a peut-être que 120ch mais c’est le fait qu’ils soient dans une auto de cet âge qui les transcende. Le poids n’est pas forcément bien faible mais il aide aussi à ce que les accélérations soient franches. Et à l’attaque du rond-point suivant, ce sont les freins à tambours qui montrent que, certes, les disques sont plus performants, mais que ce système peut encore se révéler efficace.
Heureusement, la Lancia Aurelia B20 GT attaque enfin de petites routes plus agréables. Des routes viroleuses, pas forcément larges. Un terrain de jeu en somme. L’occasion de voir ce qu’elle a de sportive. Parce que cette auto là, malgré les apparences, s’est distinguée sur la piste des 24h du Mans ou aux Mille Miglia… avec le 2 litres ! Le 2,5 litres est plus coupleux et plus puissant, et revendique une victoire au Monte-Carlo ! Mais est-ce que le reste suit ? Je ne vais pas vous mentir : oui. MAIS.
Mais on est dans une auto de 1955. Comment ça se traduit ? Par un comportement beaucoup moins tranchant et alerte qu’une berlinette des années 60. Il ne faut pas oublier que les innovations technologiques de l’époque débarquaient à des rythmes bien plus élevés que maintenant, quand on se contente de rajouter quelques Mw/h à une batterie. Du coup, la Lancia Aurelia B20 GT reste une auto des années 50.
Si les ronds-points ne lui faisaient pas peur, une fois qu’on « attaque », j’avoue que le mot paraît exagéré vu le rythme réel mais se rapproche vraiment de l’effort fourni par votre serviteur, la Lancia Aurelia B20 GT montre quelques limites. Déjà les freins. Ce n’est pas qu’ils s’échauffent mais il faudra bien anticiper pour contrer le manque d’efficacité à bon rythme. Ensuite la direction, la lourdeur n’est plus là mais la précision n’est pas chirurgicale. Surtout, malgré un poids qui reste contenu, l’italienne paraît bien moins légère qu’elle ne l’est… question de technologie. Pour autant, peu d’autos de l’époque peuvent dire qu’elles passent aussi bien en virage !
L’équilibre est excellent, le comportement sous-vireur est suffisamment sain pour ne pas vous piéger. Bref, j’apprécie vraiment cette conduite ! Parce qu’en plus, elle est confortable. L’insonorisation est légère mais le V6 ne casse pas les oreilles. Son bruit est toujours sympathique et flatteur. Le moelleux des sièges est bon et, si le verrouillage est perfectible dans les virages, on sent que les suspensions sont prévues pour des chemins moins carrossables que nos départementales, même critiquables, actuelles. M
La route défile à un bon rythme, même si j’ai levé le pied. Un raidillon sera le dernier morceau de bravoure. Attaqué en 3e, même si le V6 est vaillant, l’approche d’une épingle me montre qu’il va falloir m’y résoudre. Double débrayage et me voilà en seconde. Les 120 canassons sont toujours là mais ce sont surtout les 169 Nm de couple qui me sont utiles. La Lancia Aurelia B20 GT escalade l’obstacle sans souci.
Allez, encore un peu de route et il faut que je rende les clés. C’est un peu à regret, il faut bien le dire !
CONCLUSION :
La Lancia Aurelia B20 GT mérite sa place sur une affiche d’un grand salon, c’est indéniable. Mais elle mérite aussi d’être conduite sur route pour se faire plaisir. Car c’est bien pour ça qu’elle a été fabriquée. La débauche de technologie d’époque ne se voit pas, mais elle se sent. Certes, une boîte à moitié synchro, ça fait bizarre. Mais pour le reste, c’est une auto performante, vivante et vraiment dépaysante !
Les plus Les moins
Une ligne élégante La boîte pas totalement synchro
L’innovation… à l’ancienne La cote énorme
Le V6 performant Comportement daté
Légende automobile
CONDUIRE UNE LANCIA AURELIA B20 GT
La Lancia Aurelia est devenue une légende, c’est incontestable. Pourtant, même si le constructeur turinois n’était pas un artisan aux productions confidentielles, il faut bien dire que l’Aurelia n’a jamais été très visible dans les rues : tous modèles confondus on compte 18.201 exemplaires construits dont 3871 coupé B20 GT. Ensuite on peut encore faire plus précis : on a produit 1231 coupés 2 litres et 2640 coupés 2,5 litres.
La cote est très soutenue. Les premières autos avec leurs 2 litre s’échangent entre 110 et 200.000 € ! Ensuite, les 2,5 litres sont légèrement plus abordables mais restent dans une fourchette où un exemplaire en très bon état coûtera environ 130.000 € à 140.000 € mais les modèles parfaitement restaurés peuvent monter bien plus haut et vite flirter avec les 180.000 €.
Pour ce qui est du « guide d’achat » on parle tout de même d’une auto plutôt ancienne. Évidemment, il faudra surveiller la corrosion. Pour le reste, la qualité de fabrication est réelle. Certains éléments seront compliqués à retrouver et la carrosser mérite qu’un bon carrossier soit mis à contribution. Le V6 de la Lancia Aurelia B20 GT souffre de peu de défauts s’il a bien été entretenu. Rassurez-vous, c’est souvent le cas quand on parle d’une auto à ce tarif !
Un énorme merci à Yves pour nous avoir laissé le volant de cette beauté et à Claude pour le coup de main. Vous les retrouverez tous les deux à Epoqu’Auto le premier week-end de Novembre. Merci également au Château de Rajat pour son accueil.