Le sport auto est dans l’ADN de Mercedes depuis le début du 20è siècle, à une époque où la firme n’avait pas encore fusionné avec Benz. Mercedes, c’était le prénom de la fille d’Emil Jellinek, passionné de voitures et homme d’affaires puissant qui a énormément fait pour la promotion de Daimler via la course automobile.
Surnommé « M. Mercedes », il a inscrit le prénom de sa fille sur les autos de compétition qu’il pilotait ou faisait piloter. Celles-ci, extraordinairement en avance sur leur temps, ont remporté bien des victoires et marqué les esprits, à tel point que Mercedes a remplacé le nom Daimler sur les radiateurs. Songez qu’en 1902, une Mercedes Simplex frôlait déjà les 100 km/h !
Et quand les autres automobiles étaient encore bien souvent des engins hippomobiles dotés de moteurs, elle montrait ce qu’allait devenir la voiture moderne, plus basse, longue et simple d’usage (d’où son appellation, Simplex). Mercedes en avait apporté une au Mans Classic, et l’a démarrée devant nos yeux, procédure qui a pris plusieurs minutes : les autos de ces années-là demandent bien des réglages avant de fonctionner, même si la procédure est plus légère sur la Simplex que les autres.
Un des techniciens m’a dit avoir été suivi alors qu’il la conduisait, lors d’une opération de communication, par une Mercedes moderne embarquant un photographe. Il a poussé la Simplex, et les suiveurs lui ont révélé avoir lu 95 km/h sur leur GPS ! Il a aussi expliqué qu’elle ne freinait pratiquement pas…
Plusieurs modèles de course étaient exposés à côté de la Simplex, une monoplace W198, une 300 SL de la Carrera Panamericana, une 190 de DTM, une C111 et deux Formule 1. Evidemment, celle qui nous intéresse est la 300 SL, qui fête ses 70 ans. De surcroît, juste après son apparition, elle a signé un doublé aux 24 Heures du Mans. Tout comme la Simplex de 1902, la 300 SL, codée W194, se démarque par sa très grande modernité.
Un exploit, car si Mercedes voulait marquer son retour à la compétition, il n’était budgétairement pas question de créer une Formule 1. A la place, on préfère une auto d’endurance, pas trop chère à produire, ce que l’équipe de Rudi Uhlenhaut va réussir à merveille. En effet, la 300 SL bénéficie d’un solide châssis tubulaire, une solution alors très avancée.
Les renforts de cette structure remontent latéralement très haut, ce qui empêche l’installation de traditionnelles portières. Problème, il y a un toit, donc pour de s’installer à bord, le pilote doit ouvrir la fenêtre et se glisser par cette étroite ouverture. Claustrophobes, s’abstenir ! Plus sérieusement, cela pose des soucis de sécurité, donc on doit trouver une autre solution. C’est simple, on va agrandir l’ouvrant en lui offrant une partie du toit, où se situera son articulation : c’est ainsi que naquit la porte-papillon. Elle s’inscrit dans une carrosserie à l’aérodynamique extrêmement travaillée.
C’est par le choix de la mécanique qu’on se rend compte des contraintes budgétaires imposées à l’équipe de développement. Il s’agit de l’ensemble moteur-boîte-pont de la limousine 300 S, dont la SL reprend aussi l’essieu arrière brisé, la direction et les freins, avec de menues modifications. Le 6-cylindres 3,0 l, alimenté par carburateurs, grimpe de 115 ch à 171 ch, et autorise d’excellentes performances. Dévoilée en mars 1952, la 300 SL gagne cette année-là la Mille Miglia, les 24 Heures du Mans comme on l'a vu, et la Carrera Panamericana. Excusez du peu !
En 1953, les ingénieurs Mercedes ne se croisent pas les bras, au contraire puisqu’ils adaptent à la 300 SL une injection directe, en remplacement des carburateurs. Résultat, la puissance bondit à 215 ch. La suspension est revue, l’empattement raccourci, la carrosserie modifiée pour une meilleure aéro, le Cx tombant à un impressionnant 0.36…
Mais le constructeur lorgne désormais sur la Formule 1, et ce proto reste unique. Seulement, un certain Max Hoffmann, qui commercialise aux USA des sportives européennes avec succès, voit la 300 SL. Et comprend immédiatement son potentiel commercial, à tel point qu’il propose à Mercedes d’en acheter 1 000 ! Ce n’était pas la vocation initiale de la voiture, mais une telle manne ne saurait être négligée, aussi le constructeur accepte-t-il d’en développer une version routière. Encore une fois, un intervenant extérieur, 50 ans après Jellinek, vient dorer le destin de l’étoile.
Le développement commence fin 1953, et la voiture est présentée au salon de New York début 1954, quasi-finalisée. Codée W198, elle comporte le moteur à injection de 215 ch, des chromes et quelques ornements, mais demeure très proche du modèle de course. Capable de rouler de 235 à 260 km/h selon le rapport de pont choisi, ce qui en fait la voiture la plus rapide du monde, spectaculaire avec ses portes papillons (« Gullwing » en anglais) et relativement civilisée, la 300 SL remporte un grand succès. Entre août 1954 et mars 1957, il s’en vendra 1 400 dont 29 avec une caisse alu. En 1957, lui succède la 300 SL Roadster, à la structure largement modifiée et à la suspension arrière améliorée. Là encore, c’est une idée d’Hoffmann, qui se vendra à 1 858 unités jusqu’en 1963.
Parallèlement, Mercedes a commercialisé, entre 1955 et 1963, la 190 SL, au look largement inspiré de celui de la 300 SL mais techniquement proche de la berline 180. 25 881 ont été vendues, là encore une belle réussite. Et c’est celle-ci que Mercedes va remplacer, donnant naissance à une série de SL qui n’a rien de vraiment sportif. La superbe W113 Pagode remplace la 190 SL en 1963.
Dessinée tout en finesse par le français Paul Bracq, elle doit son surnom à la forme de son hard-top, incurvé vers son centre. Après avoir été produite à 48 912 unités, elle est remplacée en 1971 par la SL R107, conçue dans un souci sécuritaire pour plaire au marché US. Elle aussi sera un immense succès, puisqu’elle se vendra jusqu’en 1989 à près de 230 000 unités. Dallas, l’Amour du Risque, voire Columbo où elle fait quelques apparitions, contribueront à sa popularité, alors qu’il s’agit d’une auto surtout conçue avec des impératifs sécuritaires, et remarquablement inintéressante à conduire (sauf peut-être en 500).
Arrive ensuite la très technologique R140, dont nous avons testé la 600, remplacée par la belle R230 en 2001, au look inspiré de la Formule 1 et au toit dur rétractable. Lui succède la R231 en 2012, sur le même concept mais en moche, qui durera jusqu’en 2020. Là, c’est l’interruption, sa successeure R232 badgée Mercedes-AMG n’étant commercialisée qu’en 2022. Elle renoue quelque peu avec les gênes sportives de la W198, dans laquelle Mercedes m’a donné l’occasion de rouler sur le circuit du Mans.
Pas au volant, qui sera tenu par Kurt Thiim, ancien champion de DTM. Le courant passe tout de suite entre le sexagénaire danois et moi. Nous nous installons dans une 300 SL Papillon de 1955, casqués. L’habitacle est superbe, regorgeant d’accessoires délicatement chromés, telle la montre ou les commandes de phares que Kurt aura bien du mal à trouver. C’est qu’il découvre l’auto en même temps que moi ! La foule prodigieuse qui se presse dans les allées du Mans Classic, même à 22h, retarde notre départ, si bien qu’il nous faut patienter une demi-heure avant d’atteindre le circuit. Et à l’arrêt dans une 300 SL, il fait vite très chaud.
Pourquoi ? Parce que les vitres ne descendent pas, la seule aération possible restant le petit déflecteur qui s’entrebâille à peine... Donc, nous ouvrons les portières, à la grande admiration des spectateurs. Finalement, nous nous élançons, en un convoi magique. 300 SL Papillon, Roadster, SLS, W194… Chose curieuse, je tiens aisément à bord avec mon casque, la garde au toit étant généreuse.
Même si les autos sont anciennes, même si elles sont précédées d’un van Mercedes spécialement aménagé pour les photographes, on file bon train sur la piste. Seulement, Kurt peste contre la pédale de frein qui ne réagit qu’à la moitié de sa course. Je comprends son stress, car le moteur, en plus d’émettre une mélodie prodigieuse, pousse sacrément fort ! La cadence augmente, et je vois l’aiguille du tachymètre dépasser le chiffre 180… Une allure qui semble naturelle pour la 300 SL.
Nous roulons assez près les uns des autres, dans les tons orangés de la superbe lumière du soir qui caresse les courbes sensuelles des Mercedes. Vision féérique ! Je m’accroche comme je peux en virage, tente de prendre quelques photos embarquées, mais j’ai surtout envie de profiter du spectacle. Surtout que l’arrivée a lieu juste avant la tribune principale, qui compose, avec les derniers rayons du soleil, un tableau étincelant. Cette 300 SL Papillon m’a étonné par sa vigueur et sa relative civilité, son seul défaut étant la température à bord.
La Roadster dans laquelle je roule le lendemain midi le corrige. A son volant, Kurt semble plus détendu : celle-ci freine correctement ! Et marche tout aussi fort. Le soleil de la mi-journée écrase tout, empêchant la magie de la veille de se reproduire. N’empêche ! Le contact direct avec l’air procure d’autres sensations, intenses elles aussi, surtout quand on s’approche des 180 km/h.
Finalement, si j’avais les moyens de m’offrir une 300 SL, c’est peut-être la Roadster que je choisirais, pour sa plus grande facilité d’usage et ses trains roulants améliorés. De surcroît, Mercedes fournissant toujours les pièces, on pourrait presque la faire entretenir chez le concessionnaire du coin. Un mécène pour m’offrir cet engin à 1 million d’euros ?
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