Chrysler Airflow, un échec inspirant et un retour

2 years, 11 months ago - 11 January 2022, News d’Anciennes
Chrysler Airflow, un échec inspirant et un retour
Voir le nom de Chrysler surgir dans l’actu est devenu plutôt inhabituel. La marque n’est pas au mieux de sa forme (euphémisme) mais, comme beaucoup dans le groupe Stellantis, on ne l’enterre pas pour autant.

Ainsi on vient de proposer un concept baptisé Chrysler Airflow, référence à un modèle devenu mythique… mais indépendamment de sa carrière commerciale !

Le Streamline Moderne se retrouve sur 4 roues
LA grande caractéristique de la Chrysler Airflow, c’est son style. Beaucoup vont le rattacher au Streamline Moderne… mais c’est plus une coïncidence qu’autre chose.

Nous sommes au tout début des années 30. Carl Breer est à la tête d’une équipe d’ingénieurs du groupe Chrysler. La marque, comme tout l’industrie automobile de l’époque, produit des caisses carrées, et ce n’est pas par moquerie qu’on les appelle comme ça ! Les autos présentent deux volumes, un long capot rectangulaire et un habitacle cubique. Breer et ses acolytes s’intéressent à l’aviation et veulent tester la pénétration dans l’air des automobiles d’alors.

Cette équipe va utiliser une soufflerie pour tester les autos. Verdict : l’aérodynamique des autos d’alors serait meilleure si… elles roulaient en marche arrière ! C’est donc tout le design des automobiles qu’il faut reprendre !

Ils vont s’y attaquer pendant plusieurs années, faisant même appel à Orville Wright (l’un des frères) pour affiner les carrosseries. Finalement on va obtenir une ligne très épurée, en forme de goutte d’eau, avec des phares intégrées à la calandre et pas aux ailes et une aérodynamique jamais encore rencontrée pour une automobile… enfin presque, on y reviendra. En tout cas, le concept est suffisamment poussé pour qu’il donne son nom à la Chrysler Airflow !

Et le rapport avec le Streamline Moderne alors ? Reprenons les bases. Au début des années 30 le style Streamline Moderne prend de plus en plus de place aux USA. Attention, on ne parle pas d’un style automobile, dans un premier temps, mais bien d’un mouvement architectural. L’idée est de combiner des lignes horizontales et des courbes douces au lieu des angles classiques. L’inspiration vient pourtant de l’industrie et en particulier des grands paquebots transatlantiques. De grands immeubles voient le jour et le Streamline Moderne se répand.

Il finit par toucher le design industriel avec des frigos, des radios, des aspirateurs ou la célèbre bouteille de Coca. Et il est vrai que les lignes de la Chrysler Airflow peuvent se rapprocher de ce mouvement stylistique. Mais, comme pour les locomotives qui sont aussi apparentées au Streamline Moderne, c’est bien l’aérodynamique qui a fait naître ces lignes. Ce qui n’empêchera pas le terme d’être utilisé pour toutes les autos plus ou moins inspirées par la Chrysler Airflow.

La technique n’est pas QUE aérodynamique
L’aéro est poussée mais ce n’est pas la seule innovation de l’auto. En « retournant » les autos lors de leurs tests, les ingénieurs de Chrysler ont également mis en lumière les déséquilibres des masses des autos. L’arrière est surchargé, ce qui implique des suspensions fermes et un manque de confort. On travaille alors à une meilleure répartition de celles-ci. La forme de la Chrysler Airflow va aider, mais on veut aller encore plus loin.

Pour ce faire on va utiliser une technique déjà existante, Lancia l’a commercialisée en 1921, mais très peu répandue : la carrosserie monocoque. Du côté des américains, personne ne l’utilise. En Europe elle se démocratisera au même moment, avec la Citroën Traction par exemple.

Côté motorisation, on ne réinvente rien et on réutilise le 8 cylindres en ligne de 298.65 Ci apparu en 1932 sur l’auto qui la précède : la Chrysler Eight.

Tant qu’on parle du lancement, n’oublions pas un détail : la Chrysler Airflow n’était pas destinée à intégrer la gamme de Chrysler mais celle de DeSoto. Cependant, Walter Chrysler est séduit par les formes et l’audace technique de la nouvelle auto et veut la pousser au maximum. Elle aura donc sa place dans les deux gammes !

La Chrysler Airflow : une épine dans un pied de géant

C’est au salon de New York 1934 qu’est présentée la Chrysler Airflow. Comme toute auto avant-gardiste qui n’est pas un concept-car mais une vraie auto de route, elle reçoit un accueil divers. Certains louent son audace et d’autres se montrent plus réservés.

La Chrysler Airflow est également disponible en coupé, deux versions, et en berline, deux autres versions. Quatre empattements sont proposés :

  • La Chrysler Airflow « Eight » CU avec 3.137m d’empattement
  • La Chrysler Airflow « Imperial Eight » CU avec 3.251m
  • La Chrysler Airflow « Custom Imperial » CX avec 3.492m
  • La Chrysler Airflow « Custom Imperial » CW 3.721m

Cette dernière est carrossée par LeBaron et coiffe réellement la gamme. D’ailleurs, elle offre une autre première pour la l’auto : le premier pare-brise incurvé monobloc sur une auto de série !

L’auto est commercialisée d’emblée, avec sa petite sœur de chez DeSoto. C’est une vraie « petite » puisqu’elle repose sur un empattement plus faible et qu’elle abrite seulement 6 cylindres sous son capot. Par contre, cela lui donne un aspect beaucoup plus massif que la Chrysler, que ce soit en coupé ou en berline.

Les débuts de la Chrysler Airflow vont être catastrophique. Son accueil est bien plus timoré que prévu. Les américains ne sont pas séduits par cette auto qui casse les codes et possède un physique bien trop particulier.

Pire, les premières commandes prennent du retard. L’industrialisation des caisses monocoques est un enfer et la mise au point des outillages n’est pas bonnes. Les autos sont parfois renvoyées à l’usine avant leur livraison à cause de gros soucis de qualité.

Les ventes de Chrysler s’effondrent. La part de marché du constructeur passe de 45 à 31% et c’est au final la classique « Six » qui sauve les meubles. Par contre, chez DeSotor on ne propose que cette Airflow au catalogue et c’est un désastre. On ajoute une campagne de dénigrement lancée par GM et le tableau est noir. Très noir si on ajoute une dernière épine, celle de Paul Jaray, l’ingénieur qui a créé la ligne de la Tatra T77 qui reprend les mêmes formes et qui assigne le constructeur de détroit en justice !

Pour 1935 on retouche déjà à la ligne. La calandre n’est plus lisse mais légèrement pointue vers l’avant. Pour autant le reste de l’auto reste inchangé. La gamme se réduit avec la disparition des Coupé Brougham puis des berlines Town Sedans en cours d’année.

Moins de 8000 autos sont produites cette année là. Chez Chrysler on lance en urgence une Airstream qui modernise la ligne de la Chrysler Six, sans se rapprocher de la Chrysler Airflow, et on élargit la gamme avec une nouvelle Eight avec la même carrosserie. DeSoto accueille par ailleurs la Six dans sa gamme pour limiter les dégats.

En 1936 la calandre est encore revue pour être plus fine et plus pointue. Parallèlement on fait évoluer l’arrière avec une malle qui recouvre désormais la roue de secours.

Pour 1937 on réduit la gamme Chrysler Airflow à la seule Eight proposée en coupé deux portes ou berline 4 portes. Le moteur passe à 323,5 Ci (5.3L) mais cela n’enraye pas la chute des ventes. Seules 4000 autos sont produites avant qu’on arrête les frais ! Entre temps les Imperial et Imperial Custom ont été renouvelées. On espère vite oublier le fiasco et ses 29.878 exemplaires.

Un héritage… varié !
Chez Chrysler, l’héritage de la Chrysler Airflow sera à l’inverse de ce qu’elle voulait être. L’avant-garde, on oublie. Le constructeur avoue s’être trompé en oubliant simplement de se demander ce qu’attendaient les américains avant de leur proposer une auto si novatrice. Du coup le constructeur ne va produire que des autos classiques, dans leur ligne ou même dans leur technique. Il faudra aussi attendre de longues années avant que la marque ne repropose une auto monocoque.

Ceci dit, les autres constructeurs trouveront l’idée intéressante et commenceront à sortir des monocoques dans les années suivantes.

Concernant le style, le « Streamline » va faire son apparition dans toutes les gammes au début des années 40. Tous les constructeurs américains ne seront pas aussi audacieux que Chrysler. On notera cependant une auto qui poussera le bouchon plus loin que les autres : la Lincoln Zephyr.

Le concept va arriver jusqu’en Europe avec deux constructeurs. D’abord Volvo qui lance sa PV36 Carioca reprenant les formes globales de la Chrysler Airflow jusqu’à sa calandre.

En France c’est Peugeot qui va s’en inspirer. Et du côté de Sochaux on va aller encore plus loin. La ligne Streamline est certes utilisée comme base pour les 402 et 302 (et plus tard la 202) mais on va encore plus loin dans l’aérodynamique en cachant les phares sous la calandre !

Le retour de la Chrysler Airflow en 2022
Non, ne cherchez pas quel salon automobile vous auriez pu rater. C’est au CES, le Consumer Electronics Show de Las Vegas, là où a plus l’habitude de découvrir les derniers smartphones que des voitures, qu’a été dévoilé le concept-car Airflow 2022.

Le SUV reprend la calandre des dernières autos de la gamme… et il faut bien dire qu’elle est très réduite avec la seule 300 et les vans Voyager et Pacifica. Mais justement, la nouvelle Chrysler Airflow préfigure la future gamme de Chrysler, qui sera lancée en 2025 avec ce premier véhicule, vous l’aurez senti venir, 100% électrique. On prévoit même une gamme complète mue par la fée électricité pour 2028.

On l’a vu, la Chrysler Airflow a inspiré Peugeot. En 2022, ces deux marques font partie du groupe Stellantis. Pourquoi ne pas voir des solutions techniques passer directement d’une marque à l’autre ? Ce serait en tout cas un sacré clin d’œil au passé mais on lui souhaite d’arrêter là pour la référence et ne pas créer un nouvel échec qui pourrait, cette fois, être fatal à Chrysler.

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